jeudi 30 avril 2015

49 # POISSON-FEUILLETON # Sur le talus continental / P=280bars


6 mai 2015

Par près de 3000 yards sous le niveau de la mer, au cœur même de l'aire bathypélagique qui voit la lutte incessante du calmar géant contre le cachalot, véritable maître des lieux, dans l'iridescence fluctuante d'une neige sous-marine devenue par la vertu des hommes multicolore et agrégante, je décide de sortir de l'infernal circuit dans lequel le poisson, dés qu'il eut compris,  m'entraîna. J'ai quelques vérifications à effectuer en milieu sec si je veux pouvoir continuer à tracer mon sillon dans les profondeurs des hautes-pressions, et pour ce faire je n'ai qu'une solution : une halte à la grotte de Sion qui doit son existence à mon technologique savoir-faire lui-même motivé il y a déjà de longues années par les besoins de ma première chasse en quête du magnétique poisson. Mais je ne devrais pas cette fois rencontrer de problème énergétique paralysant : j'ai appris depuis à thésauriser l'énergie des courants qui m'environnent, et je n'éclaire plus à cette profondeur, sur relief doux, que par flashs stroboscopiques espacés de vingt secondes qui occasionnent eux-mêmes le photo-shoot en rafale d'une batterie d'appareils dont je visionne les clichés en temps réel. C'est très au point.

"Si vous voulez repousser la mer, n'agissez pas sur l'eau. Prenez appui sur le sel." C'est ce qu'avait bien dû nous répéter vingt fois notre professeur d'histoire, étonnament, lors de cette première année universitaire, comme baptisant là sous le couvert d'une référence à l'antiquité notre ignorance crasse, deséspérément indécrottable. Car sans jamais, jamais, pas une seule fois daigner nous octroyer le semblant d'une miette d'explication ni même nommer sa source : rien, nada, allez vous faire voir. Aussi avais-je tout misé sur les sciences. Mais cet historien du manuel, ce fin stratège frustré, cette sorte de petit soldat de plomb avait néanmoins placé en moi au bon endroit, quoiqu'à son insu tout comme au mien, le germe d'une idée qui allait me profiter au-delà de tout espoir et m'allouer pour finir de prodigieux pouvoirs.

Car je n'étais pas encore, à l'orée de ce premier grand départ à la poursuite du poisson magnétique, au mieux de mes informations ni de mes compétences, je n'allais pas tarder à m'en apercevoir. et tout particulièrement pour ce qui concernait ce que j'appellerai faute de mieux sa signature : cette capacité de glissement inter-dimensionnel dont il est encore aujourd'hui si friand, cette faculté d'immédiate et spontanée disparition qui n'en est pas une, mais simple reformulation moléculaire instantanée de tout son être, cette façon toute particulière qu'il a de filer, de mettre les bouts, de prendre la tangente à proprement parler puisque c'est précisément au point de friction des axes du réel qui ne sont pas trois, ou quatre avec le temps, mais légion, qu'il oscille soudain pour choisir à coup sûr le côté sans pêcheur, ce trait-de-caractère, pour conclure, qui lui va si bien mais dont je crains qu'il détienne à jamais, pour des raisons techniques, l'étrange monopole. Quoiqu'il en soit, lui, à l'époque de cette première chasse et à l'heure d'initier un vain cycle de plaisantes escarmouches, distrait et peut-être même amoureux, en usait de façon bien moins que raisonnable. Mais qu'importe après tout, puisque ses atouts auraient finalement le pouvoir, spectaculaire ô combien, de révéler les miens. Qu'importe après tout, puisque sa grandeur allait bientôt m'absoudre de ma petitesse.

Mais j'étais encore loin d'en être persuadé, ce 20 janvier par trois mille mètres sous la surface des eaux marines, lorsque pour la toute première fois le poisson que j'avais pisté sur plus de six cent kilomètres disparut de mes écrans-radar et de tous les autres également : il avait brutalement rippé en me plantant là au fond d'une morne fosse, me laissant un rien Napoléon et contraint par l'ignorance d'y rester pendant de longs jours à tourner, tourner, tourner encore pour l'y chercher tandis qu'il se pavanait probablement sur quelque page de bande-dessinée vaguement sud-américaine : misère de moi. J'aurais pu me lasser, mais j'y avais trouvé de la force par le mystérieux ressort de la ténacité scientifique, cette inépuisable source d'énergie ayant alimenté, d'Einstein à Curie, de Descartes à Newton, de Copernic à Galilée, tant de formidables vaisseaux que les assistantes sociales continuent pourtant de pointer du doigt en les nommant obsessions. D'où le transit de nos chercheurs vers de plus favorables tropiques. Mais pour ma part, j'avais décidé d'en finir avec le système. D'en finir une bonne fois. Et croyez-moi ou non, mais on n'arrête pas d'un simple claquement de doigts une stratégie fomentée sur plus de trente ans, et sur tous les continents. Et si, d'ici là, quelqu'un s'occupait de sauver le monde, de mon côté je replacerais la science au cœur des affaires de l'État, et non plus en ultime recours (quand ce n'était pas pour porter le chapeau). Non, moi ils ne m'auraient pas : si je pouvais au passage capter ne serait-ce qu'un centième du savoir du poisson, je trouverais bien le moyen de le faire savoir, de le transmettre, et ce serait un tel bond dans la connaissance qu'en mettre en œuvre les applications nous prendrait probablement plus d'un siècle. Un tel élan vers la lumière qu'il ferait définitivement reconnaître la valeur de mon jugement, et plus sûrement que si je n'avais inventé l'eau.
Or c'est le feu qui, cette fois, me sauva. Le feu de la terre qui avait fait jaillir il y a plusieurs milliers d'années sur le flanc du mont Tariq, ou rocher de Gibratar, au cœur même de la fosse que le poisson avait choisie pour me piéger, un océan de lave propre à fondre la roche pour mieux la reconstruire. Le feu qui par ses effets bénéfiques allait tardivement me donner l'occasion d'inaugurer ma plus récente technologie portable, déployée en vue, évidemment, d'une chasse au poisson que je ne pouvais concevoir autrement que victorieuse, et pour laquelle je n'avais pas ménagé ma peine, pour laquelle je n'avais pas lésiné sur l'effort, pour laquelle je n'avais pas remballé mon audace, en aucune manière. Non, une chasse dont j'étais bien certain qu'elle serait mémorable, et pour laquelle j'avais consciencieusement mis au point l'Ouverture des Eaux.

Car de fait une première éruption avait ouvert le flanc de la montagne, une seconde l'avait épanouie en en faisant rayonner du centre tunnels et travées, mais une troisième avait refermé le tout comme une huître que j'identifiai bientôt comme une perle, à l'exception d'une unique ouverture : un boyau de près de cent mètres que j'avais dés l'abord repèré.

Et lorsque mes efforts de déduction d'une puissance accrue par l'absorption irraisonnnée que j'étais contraint de faire de pilules B52 en vinrent à corroborer les résultats des calculs statistiques du Triton, mon ordinateur de bord, je sus, je sus comme je vous vois que le Poisson m'avait joué un tour mais qu'il était de nature séquentielle car lui-même l'était, et que c'était même sa raison d'être et le pur ADN de tout son programme : le transport de séquences.

Je n'avais plus qu'à attendre. Mais que faire de ce temps que j'estimai à plusieurs jours sinon me fabriquer un abri sur la Lune, ou plus judicieusement : sous la mer De longs et patients calculs avaient été nécessaires pour me persuader de ce que l'impossible ne l'était pas, puis le Réducteur était né : une simple coupe inoxydable en forme de radar montée sur un boîtier et vouée toute entière au reflux du sel, donc de l'eau de mer, celle-ci ne pouvant s'évaporer en profondeur ni se dissocier d'aucune autre manière de son partenaire marin ou océanique, la cristallisation étant empêchée par la densité même des deux éléments en présence, sel et eau, et de toute façon interdite par la nature et la fréquence d'émission du Réducteur. Nous y reviendrons, car pour l'heure le tour était joué : le Passage de la Mer Rouge ne serait dorénavant plus qu'un précédent notable, quoique sujet à caution, quand j'allais pour ma part me fabriquer une bulle d'air permanente et tangible par trois mille mètres de fond, qui plus est abritée par la plus charmante grotte volcanique qui fut jamais, et bien au chaud.





À SUIVRE...