6 mai 2015
Car je n'étais pas encore, à l'orée de ce premier grand départ à la poursuite du poisson magnétique, au mieux de mes informations ni de mes compétences, je n'allais pas tarder à m'en apercevoir. et tout particulièrement pour ce qui concernait ce que j'appellerai faute de mieux sa signature : cette capacité de glissement inter-dimensionnel dont il est encore aujourd'hui si friand, cette faculté d'immédiate et spontanée disparition qui n'en est pas une, mais simple reformulation moléculaire instantanée de tout son être, cette façon toute particulière qu'il a de filer, de mettre les bouts, de prendre la tangente à proprement parler puisque c'est précisément au point de friction des axes du réel qui ne sont pas trois, ou quatre avec le temps, mais légion, qu'il oscille soudain pour choisir à coup sûr le côté sans pêcheur, ce trait-de-caractère, pour conclure, qui lui va si bien mais dont je crains qu'il détienne à jamais, pour des raisons techniques, l'étrange monopole. Quoiqu'il en soit, lui, à l'époque de cette première chasse et à l'heure d'initier un vain cycle de plaisantes escarmouches, distrait et peut-être même amoureux, en usait de façon bien moins que raisonnable. Mais qu'importe après tout, puisque ses atouts auraient finalement le pouvoir, spectaculaire ô combien, de révéler les miens. Qu'importe après tout, puisque sa grandeur allait bientôt m'absoudre de ma petitesse.
Mais j'étais encore loin d'en être persuadé, ce 20 janvier par trois mille mètres sous la surface des eaux marines, lorsque pour la toute première fois le poisson que j'avais pisté sur plus de six cent kilomètres disparut de mes écrans-radar et de tous les autres également : il avait brutalement rippé en me plantant là au fond d'une morne fosse, me laissant un rien Napoléon et contraint par l'ignorance d'y rester pendant de longs jours à tourner, tourner, tourner encore pour l'y chercher tandis qu'il se pavanait probablement sur quelque page de bande-dessinée vaguement sud-américaine : misère de moi. J'aurais pu me lasser, mais j'y avais trouvé de la force par le mystérieux ressort de la ténacité scientifique, cette inépuisable source d'énergie ayant alimenté, d'Einstein à Curie, de Descartes à Newton, de Copernic à Galilée, tant de formidables vaisseaux que les assistantes sociales continuent pourtant de pointer du doigt en les nommant obsessions. D'où le transit de nos chercheurs vers de plus favorables tropiques. Mais pour ma part, j'avais décidé d'en finir avec le système. D'en finir une bonne fois. Et croyez-moi ou non, mais on n'arrête pas d'un simple claquement de doigts une stratégie fomentée sur plus de trente ans, et sur tous les continents. Et si, d'ici là, quelqu'un s'occupait de sauver le monde, de mon côté je replacerais la science au cœur des affaires de l'État, et non plus en ultime recours (quand ce n'était pas pour porter le chapeau). Non, moi ils ne m'auraient pas : si je pouvais au passage capter ne serait-ce qu'un centième du savoir du poisson, je trouverais bien le moyen de le faire savoir, de le transmettre, et ce serait un tel bond dans la connaissance qu'en mettre en œuvre les applications nous prendrait probablement plus d'un siècle. Un tel élan vers la lumière qu'il ferait définitivement reconnaître la valeur de mon jugement, et plus sûrement que si je n'avais inventé l'eau.
Car de fait une première éruption avait ouvert le flanc de la montagne, une seconde l'avait épanouie en en faisant rayonner du centre tunnels et travées, mais une troisième avait refermé le tout comme une huître que j'identifiai bientôt comme une perle, à l'exception d'une unique ouverture : un boyau de près de cent mètres que j'avais dés l'abord repèré.
Et lorsque mes efforts de déduction d'une puissance accrue par l'absorption irraisonnnée que j'étais contraint de faire de pilules B52 en vinrent à corroborer les résultats des calculs statistiques du Triton, mon ordinateur de bord, je sus, je sus comme je vous vois que le Poisson m'avait joué un tour mais qu'il était de nature séquentielle car lui-même l'était, et que c'était même sa raison d'être et le pur ADN de tout son programme : le transport de séquences.
Je n'avais plus qu'à attendre. Mais que faire de ce temps que j'estimai à plusieurs jours sinon me fabriquer un abri sur la Lune, ou plus judicieusement : sous la mer ? De longs et patients calculs avaient été nécessaires pour me persuader de ce que l'impossible ne l'était pas, puis le Réducteur était né : une simple coupe inoxydable en forme de radar montée sur un boîtier et vouée toute entière au reflux du sel, donc de l'eau de mer, celle-ci ne pouvant s'évaporer en profondeur ni se dissocier d'aucune autre manière de son partenaire marin ou océanique, la cristallisation étant empêchée par la densité même des deux éléments en présence, sel et eau, et de toute façon interdite par la nature et la fréquence d'émission du Réducteur. Nous y reviendrons, car pour l'heure le tour était joué : le Passage de la Mer Rouge ne serait dorénavant plus qu'un précédent notable, quoique sujet à caution, quand j'allais pour ma part me fabriquer une bulle d'air permanente et tangible par trois mille mètres de fond, qui plus est abritée par la plus charmante grotte volcanique qui fut jamais, et bien au chaud.
var uri = 'http://impfr.tradedoubler.com/imp?type(img)g(22573204)a(2508664)' + new String (Math.random()).substring (2, 11);
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J'avais été un beau jour, lors de cette première expédition, confronté à l'une des techniques préférés du poisson, dont à vrai dire il a le parfait monopole et ne semble pas se lasser : la fuite par la tangente au pied de la lettre, le changement de plan, la parfaite et spontanée dérive dans l'espace-temps. Et moi, novice que j'étais dans cette façon déroutante qu'il a de disparaître, je dus apprendre, et en premier lieu, la patience. J'appris : une semaine à tourner en rond dans la cuvette d'une fosse sous-marine à chercher quelque chose qui ne s'y trouve plus, ça forge. Ça userait presque mais la différence s'appelle ténacité scientifique. Et il se trouve que je cultive la différence. Je la cultive à tel point que je mis évidemment cette semaine à profit. Et je repérai bientôt sur la pente devenue soudain plus abrupte du talus continental une vaste grotte immergée, mais au terme d'un long boyau, qui m'était par bonheur parfaitement accessible. Il faut dire que mon Seaspad, que je reprofile sans cesse, possède quelques caractéristiques que même la Nasa, sans nulle vergogne, pourrait lui envier, aussi ne suis-je pas certain que la sonde amphibie qu'elle s'apprête à envoyer à grand renfort de dollars et de battage publicitaire aux trousses du Poisson soit autre chose que de l'argent de contribuable bien mal employé. L'avenir nous dira si, dés lors qu'il s'agit de pêche, l'artisan ne vaut pas mieux que l'industriel et le militaire réunis. Car fou, vain et vaniteux, tel ne pourrait être appelé celui qui nierait que le dernier Roi en charge du Saint-Graal fut simple Pêcheur ? Je ne le crois pas. Assurément ces vocables lui iraient bien, qu'il habite la Floride ou Moscou.
Or la grotte que j'arpentai ce jour-là m'apparut vite provenir d'une activité volcanique en trois étapes datant d'au moins cinquante mille ans : la première éruption avait fait jaillir ces côteaux que le temps souderait au talus, la seconde en avait fait rayonner le cœur pour former les boyaux, et la troisième avait été fatale à l'ensemble, refermant le tout comme une huître excepté un seul tunnel. Mais pour ma part j'y vis une perle, et décidai d'y appliquer ma toute nouvelle technologie portable : l'Ouverture des Eaux, qui en toute modestie était une imparable botte secrète, une réponse réellement très personnelle, et peut-être définitive (j'avais vraiment mis le paquet), à un interminable exode, celui d'un vénérable Poisson qui narguait pourtant la terre entière depuis la Nuit des Temps. Faut être gentil.
[ à suivre... ]