15 avril 2015
Par 900 yards sous le niveau de la mer aux abords de Gibraltar.
Cette fosse me retiendra longtemps, je sais que le poisson l'affectionne entre toutes : il y trouve son content d'histoire. Mais pour le coup, moi aussi. Encore sous le choc. Ai fait macabre découverte, que je ne comprends toujours pas. En diffère le rapport : ai lancé série d'analyses. Attendrai le résultat pour narrer l'objet de ma surprise, tant j'ai le sentiment que l'ivresse des profondeurs a eu sa part dans ma façon de l'appréhender. Le mélange gazeux que j'utilise depuis le départ de cette deuxième chasse-au-poisson (la bonne, je l'espère) n'est pas sans faille, malheureusement. Et je ne suis pas encore suffisamment accoutumé à ce nouveau type de narcose pour n'en pas souffrir des effets. Je me garderai bien de dire ce que j'ai vu ou cru voir, et ne rapporterai que ce que le système aura scrupuleusement décortiqué et daté. Résultats dans quelques heures, si je ne dois pas utiliser l'énergie dans un autre dessein. Navigation stable. Environnement sain, champ large, mais ce n'est pas ici que je remplirai ma besace : le détecteur d'ondes ne ramasse encore qu'un faisceau de rémanences et rien, pas même un signal fuyant, ne se décide à venir l'affoler. Je vais devoir descendre encore et perdre l'un des plus grands plaisirs de ces premières profondeurs : les épaves, plus colorées, plus chatoyantes les unes que les autres.
Rarement aussi garnies que le Cygne Noir, gallion du XVII° gisant au large des Cornouailles et qui comptabilisait dans ses soutes cinq cent millions de dollars en or et argent, les épaves balisent pourtant toutes les grandes voies sous-marines comme autant de cathédrales de sel plantées dans l'écorce terrestre. Mais trêve de lyrisme, je commence à croire que le poisson magnétique m'a repéré, qu'il sait déjà. Dans ce cas, il ne peut avoir d'autre stratégie que de passer le cap, puis de filer jusqu'au seuil du plateau qui s'effondre jusqu'à -4000m au large du détroit. Je sais que le poisson a pour urbaine habitude d'écouter par les tuyaux, mais je ne me souviens pas avoir jamais chanté les spécificités techniques de mon appareil dans la cuisine. Aussi, s'il se base sur les possibilités des plongeurs moyens, tout intelligent qu'il soit, je ne vois pas comment il pourrait supposer que je suis parfaitement capable de le suivre et sans doute d'aller plus vite que lui. La seule chose qui me fasse réellement défaut, pour être tout-à-fait honnête, c'est sa maîtrise de la physique quantique : ce petit vertébré multicolore est capable de réaliser un déplacement sur deux axes inscrits sur un seul plan, en clair : d'être un dessin animé sur une feuille de papier. Déjà, là j'ai du mal à le suivre. Mais direct, ça ne lui coûte rien d'enquiller sur une méga-virée à dos de tortue dans l'océan indien en prenant soin de passer un quart d'heure par jour, le bon, dans la baignoire de la copine à Brad Pitt. Non, inutile de se voiler la face : si le poisson met le turbo, je ne suis pas à niveau. But the show must go on. Anyway.