Magnétisme et nanoparticules
Une nouvelle arme contre le cancer
Les mécanismes de déclenchement de la mort des cellules tumorales suscitent un grand intérêt dans le monde de la recherche sur le cancer. Certaines approches s’appuient sur un déclencheur biochimique – une molécule administrée aux patients censée activer la mort programmée des cellules malades –, mais leur action ne se limite pas à la région où se trouve la tumeur et ne dure pas forcément assez longtemps dans l’organisme. Une solution possible à ces deux problèmes pourrait résider dans l’utilisation de nanoparticules ciblant les récepteurs de mort des cellules cancéreuses ; des aimants permettent de choisir où et quand ces particules seront activées. Dans une nouvelle étude, ce système non-invasif a été utilisé pour activer la mort cellulaire d’un vertébré vivant : une première.
Une équipe de chercheurs en Corée du Sud a fait un grand pas en avant dans l’utilisation des aimants pour traiter le cancer en ciblant les cellules tumorales. Beaucoup d’efforts sont investis dans le développement de composés permettant de tuer ces cellules, mais ceux-ci manquent souvent de précision concernant la zone à traiter et le moment d’activation : les médicaments exercent leurs effets nocifs sur tout le corps, ou la substance thérapeutique se décompose avant de pouvoir agir sur la cible visée. Dans une étude publiée en ligne le 7 octobre 2012 dans la revue Nature Materials, le groupe montre non seulement que l’utilisation de nanoparticules magnétiques permet de déclencher la mort des cellules tumorales in vitro, mais aussi que l’action de ces mêmes particules peut être contrôlée avec précision par des aimants in vivo, chez le poisson-zèbre. La partie magnétique du système est composée de particules d’oxyde de zinc et de fer (Zn0.4 Fe2.6 O4) de 15 nanomètres de diamètre. L’élément qui permet de cibler les tumeurs est un anticorps spécifique du récepteur de mort 4 (DR4) présent sur certaines cellules du cancer du côlon. Lorsqu’il est activé, ce récepteur enclenche l’apoptose, soit la mort programmée de la cellule, un processus naturel qui permet au corps de se débarrasser des cellules malades ou âgées. L’apoptose est neutralisée dans le cas des cellules cancéreuses, ce qui permet à ces dernières de proliférer de manière incontrôlée.
L’équipe dirigée par Jeon-Soo Shin et Jinwoo Cheon, du Yonsei University College of Medicine, ont lié les nanoparticules magnétiques (NPM) à l’anticorps (Ac) ciblant le DR4 et les ont introduites dans des cultures de cellules cancéreuses du côlon. En l’absence d’un champ magnétique, les complexes Ac-NPM se sont répartis uniformément sur la surface des cellules. Afin d’activer le système, les chercheurs ont placé 2 aimants à 200 micromètres de distance l’un de l’autre pour générer un champ magnétique de 0.64 Tesla entre eux. Ce champ magnétique, qui a été appliqué aux cellules cancéreuses en culture, se concentrait sur une zone d’un micromètre. En activant le magnétisme des particules, les complexes Ac-NPM liés aux récepteurs de mort se concentrent en petits groupes sur la surface de la cellule. C’est cet agrégat de DR4 qui envoie le signal pour déclencher l’apoptose.
Les nanoparticules magnétiques ciblant le récepteur de mort d’une cellule sont activées par l’utilisation d’aimants.
Les
chercheurs ont confirmé qu’un signal d’apoptose avait
effectivement été envoyé en cherchant la présence de caspase-3,
une molécule qui est activée pendant ce processus. L’apoptose en
tant que telle a été mesurée par la coloration des cellules du
cancer du côlon ; lorsque la membrane de la cellule est
endommagée à la suite du processus apoptotique, les cellules
prennent une couleur bleue. Un traitement par champ magnétique de 4
heures, en utilisant divers niveaux de concentration de complexes
Ac-NPM, a permis de détruire de 20 à 65 % des cellules cancéreuses. Ces
expériences in
vitro ont
montré la capacité du système de nanoparticules magnétiques à
détruire les cellules. En fait, une technique similaire avait été
développée en 2008 par Robert J. Mannix et al. ; c’est le
fait d’être parvenu à contrôler les nanoparticules dans
l’organisme d’un vertébré vivant qui représente réellement
une avancée dans l’étude réalisée par l’équipe sud-coréenne. L’apoptose,
en plus de débarrasser le corps des cellules vieilles ou
endommagées, a un rôle à jouer dans le développement :
certaines cellules produites sont destinées à disparaître
progressivement dans une sorte de processus d’ « élagage »,
à mesure que l’organisme prend sa forme adulte. Dans cette étude,
les chercheurs se sont intéressés au développement du
poisson-zèbre pour tester leur capacité à contrôler in
vivo les
particules déclenchant l’apoptose, dans l’espace comme dans le
temps. La similitude génétique entre le récepteur signalant
l’apoptose chez le poisson-zèbre et le DR4 humain en faisait un
choix pertinent, et les complexes anticorps-nanoparticules
magnétiques correspondants ont été produits chez le poisson-zèbre
pour réaliser l’expérience.
Des
embryons de poisson ont reçu des injections de complexes Ac-NPM au
stade de leur développement unicellulaire, puis ils ont été
traités avec un champ magnétique allant jusqu’à 0,5T. L’apoptose
activée magnétiquement s’est traduite par des changements dans
leur développement, entraînant une courbure anormale de la queue :
plus le champ magnétique était fort, plus l’angle de courbure
était grand. Les auteurs de l’étude observent qu’« une
queue courbée est considérée comme l’un des signes les plus
caractéristiques d’apoptose » ; la présence d’agrégats
de NPM et de la molécule apoptotique témoin caspase-3 dans la queue
a corroboré ces conclusions. Bien
qu’ils « se limitent à » compléter de précédentes
recherches, ces résultats représentent un cap important par le fait
que l’étude a été réalisée sur un organisme vivant. Si les
nanoparticules et un système magnétique non-invasif sont capables
d’enclencher l’apoptose dans le développement du poisson-zèbre,
il est possible d’envisager que cette méthode soit tout aussi
efficace pour contrôler la portée et le moment d’activation du
processus de mort cellulaire des cellules cancéreuses
humaines.
Cet
article est traduit de l'anglais
"a magnetic switch for cancer cell death" par mayte Perea Lôpez.
"a magnetic switch for cancer cell death" par mayte Perea Lôpez.